Les
dirigeants des entreprises sont maintenant familiers du concept d’économie
verte (Green Economy), mais ils méconnaissent le plus souvent l’économie bleue
(Blue Economy). La première vise, entre autres, à développer une économie
fondée sur les écosystèmes terrestres et en harmonie avec eux, la seconde
poursuit les mêmes objectifs, mais avec les écosystèmes maritimes et lacustres.
Mon propos, dans ce billet, ne vise pas à dresser une liste des opportunités de
l’économie bleue pour les entreprises et les états, mais à illustrer au travers
d’un exemple, celui des mangroves, l’importance des écosystèmes maritimes.
Alors que nos regards sont souvent dirigés vers les luxuriantes forêts amazonienne,
indonésienne ou celles du bassin du Congo, nous méconnaissons les mangroves, un
écosystème de marais maritimes des régions tropicales constitués
essentiellement de palétuviers. Ces arbustes ne sont pas d’une grande beauté,
surtout lorsqu’on les compare aux grands arbres des forêts tropicales. Mais ils
sont cependant d’une particulièrement grande efficacité lorsqu’il s’agit de
capturer le carbone atmosphérique. Les spécialistes de la séquestration
biologique du carbone estiment que les mangroves stockent jusqu’à six fois plus
de carbone par km2 et par an que les forêts tropicales (les herbiers marins
pourraient stocker jusqu’à 25 fois plus de carbone par Km2 que les forêts
tropicales et assurer un stockage pendant plusieurs millénaires).
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Crédit NOAA |
Lorsqu’une
forêt se dégrade, elle relâche une partie du carbone qu’elle a auparavant
séquestré. Les mangroves sont particulièrement vulnérables. Leur taux de
disparition annuel est estimé entre 2% et 8% par an. C’est ainsi que la
dégradation des mangroves participe à presque 20% aux émissions de CO2
associées à la déforestation. Jusqu’à présent, la cause première de la
disparition des mangroves était la crevetticulture. Outre leur grande capacité
à séquestrer du CO2, laquelle devrait demain faire d’elles un produit de choix
pour les industriels qui souhaitent effacer leur empreinte carbone, elles
participent, en autres, également à la protection des littoraux, fournissent du
bois et de la nourriture aux populations. Certaines ONG oeuvrent pour les
mangroves satisfassent aux Verified Carbon Standards et autres certifications.
Revenons
quelques instants sur la concurrence pour l’espace entre les fermes de
crevettes et les mangroves. Dans le passé, les mangroves ont été éliminées pour
offrir un espace propice à l’élevage moderne et intensif de crevettes. Les
mangroves ont été remplacées par des ensembles d’étangs artificiels. Avec cette
forme d’élevage, la nourriture était importée de l’extérieur avec un effet
négatif sur la balance commerciale du territoire. Les risques et la gravité des
épidémies étaient importants en raison de la forte densité des animaux dans les
bassins. Dès le début des années 2000, des expériences d’intégration
harmonieuse de l’élevage de la crevette dans l’écosystème des mangroves ont été
réalisées. Leurs résultats ont été particulièrement prometteurs. Et vers
la fin des années 2000, l’Indonésie a déployé un programme ambitieux de
replantation des mangroves en y intégrant des fermes de crevettes. L’intérêt
économique de cette association est important puisque la mangrove fournit
quasiment la totalité des besoins alimentaires des crevettes, mais également un
environnement d’élevage de grande qualité. Ainsi, les risques sanitaires sont
substantiellement abaissés. Plusieurs autres types d’élevage peuvent y être conduits,
comme celui des crabes qui viennent compléter une partie de la chaine
alimentaire, ce qui n’est pas le cas avec l’élevage intensif des crevettes. Les
mangroves servent également d’habitat et de lieux de reproduction pour de nombreuses
espèces de poissons, des microalgues et des macroalgues, des concombres de mer,
des mollusques, etc. chacune d’elle joue un rôle particulier au service de
l’ensemble.
A
mon sens, le cas des mangroves illustre à merveille combien il est important
aujourd’hui d’investir dans la connaissance des écosystèmes maritimes. Les
estimations sur la séquestration de CO2 par les mangroves sont très récentes
(2011 pour la principale). Il illustre également les possibilités, souvent peu
explorées, de tirer un meilleur parti de la biodiversité avec les écosystèmes
intégrés, c’est à dire intégrants une composante naturelle, ici la mangrove,
avec une composante artificielle, dans ce cas l’élevage de crevettes. Le
concept d’écosystème intégré m’apparait comme l’une des possibles avancées majeures.
Un tel système combine la production de services écosystémiques avec une
production alimentaire de qualité et durable en quantité. L’analyse des
systèmes complexes nous invite par ailleurs à penser que la résilience d’un
système biologique est en proportion de la richesse de sa biodiversité.
L’économie
bleue est encore méconnue, mais elle recèle de nombreuses et insoupçonnées
opportunités économiques compatibles avec une croissance durable.